Joypad vient de publier un Hors-Série spécial Super Mario. Qu'y apprend-t-on ? Vaut-il les 7,5 euros ?
Joyeux anniversaire !
Le magazine Joypad commence l'année 2011 en compagnie de notre personnage préféré pour son quatorzième Hors-Série. Il annonce "+ de 200 jeux en 25 ans" ainsi que "les débuts, les succès, les plagiats, les ratés". Si vous n'avez pas encore craqué, voici peut-être de quoi juger. En essayant d'être juste.
Faut-il craquer ?
Verdict :
7,5 euros c'est cher (ça fait 50 francs !), il y a d'excellents jeux Wii ou DS neufs à 5 ou 10 euros, notamment à la Fnac, chez Games ou Micromania. C'est cher ...mais en contrepartie, il s'agit d'un gros numéro 100% Super Mario, contenant une centaine de page !
Un gros numéro 100% Mario d'une centaine de pages ....mais en contrepartie, il y a souvent des doubles pages remplies à 100% par un artwork de jeux Super Mario (Mario Party 8, pages 6 et 7 ; Dance Danse Revolution Mario Mix pages 16 et 17 ; Super Mario Galaxy pages 26 et 27 ; Super Mario Sunshine page 42 et 43 ; Mario Strikers Charged pages 58 et 59 ; Super Smash Bros Brawl pages 76 et 77 ; plus neuf autres artworks d'une seule page = 21 pages uniquement occupées par de grosses illustrations, c'est un peu abusé.
Ce genre de artwork officiel rencontré 350 fois ...que vous boufferez encore une fois, et en double page :-/
Des doubles pages de remplissage ...mais en contrepartie, très peu de publicités (3 pages) pour un numéro très beau, qui joue bien sa carte de numéro collector/bel objet ; à l'image de la couverture (même si certaines impressions ne sont pas au niveau, notamment Super Mario Sunshine dont l'impression est très altérée - mauvaise résolution de l'image ?).
Un joli numéro collector/bel objet ...mais en contrepartie, il faut bien reconnaître que Nintendo y est pour beaucoup : ce sont leurs artworks, leur images spéciales, etc., le maquettiste ne s'est pas vraiment foulé. Pour éviter cet aspect "attendu",
- le magazine aurait peut-être pu fouiller un peu plus dans le catalogue iconographique de la marque pour trouver des illustrations un peu plus rares
- une autre eut été d'employer un illustrateur maison ;
- une autre de demander à des illustrateurs oeuvrant sur le web de créer des dessins (exemple Krillin) ;
- une autre solution enfin, aurait consistée à intégrer les illustrations spontanées les plus brillantes d'internautes, histoire d'ajouter une dimension supplémentaire à l'analyse, les détournements/hommages des joueurs qui se multiplient avec Super Mario plus que pour n'importe quel personnage (et que nous traitons ici dans la rubrique Mario Fans). Ces illustrations apparaitraient comme des visions originales, elles lèvent aussi un certain voile sur ce qu'est Super Mario aujourd'hui et pourraient se rapprocher des oeuvres d'Art Contemporains qui illustrent certaines publications (Philosophie Magazine, etc.)
Exemple d'un artwork brillant (ici signé Masa) qui aurait pu agrémenter les pages de respiration (ou "remplissage" selon votre degré de tolérence)
Des images piochées dans le stoc de Nintendo ....mais en contrepartie, un texte très fouillé, original avec des partis pris. Par exemple, l'analyse de Super Mario Sunshine par Damien Begini : il y oppose ce jeu aux autres épisodes pour des raisons d'organisation générale : les distances des plates-formes dans les niveaux semblent pré-éxiter au personnage Mario (ses capacités de rebonds) et l'univers grafique se réfère à des éléments de notre monde. Bref l'essence de Mario est bousculée et je vous invite à lire cet article pour plus de détails. Joypad est édité par Yellow Media (anciennement Future Press) comme la plupart des autres magazines de Jeux Vidéo à "gros tirages" (Jeux Vidéo Magazine ; Consoles + ; les magazines officiels des trois constructeurs de consoles ; etc.). Nous ne sommes pas loin de l'hégémonie. D'où une crainte d'homogénéisation des points de vues, des idées, ...et même, plus concrètement des tournures de phrases ! Ici, pas de risques. Des rédacteurs avec des doigts agiles pour bien tenir la plume, des yeux pour regarder, une cervelle pour réfléchir (1) et un esprit critique pour s'engager (2). Deux points, qui, également, ont leur revers à la médaille :
(1) Des articles très intéressants, des analyses intelligentes ...mais en contrepartie, des mots compliqués non définis. Exemple "paradigmatique" ("La création de Super Mario 64 est en réalité l'histoire d'un grand dépouillement, d'une réduction de Mario à son essence paradigmatique", p.45). Ce mot est utilisé la plupart du temps en linguistique (il concerne la liste de mots qui pourraient virtuellement remplacer un mot présent ; par opposition aux mots qui succèdent effectivement dans une phrase, dont les relations sont "syntagmatiques"). Même avec les connaissances ou le dictionnaire pas très loin, le terme, au mieux est pompeux, au pire, ne veut rien dire. Volonté d'impressionner ? Un mot pareil mérite soit une définition, soit sa substitution par des mots plus courants. De même pour Super Mario Sunshine avec le mot déconstruction "Cette analyse de Mario Sunshine à l'aune du concpet de déconstruction pourra paraître d'une extrême dureté (...)" (p.75). Sans ce mot pour le moins compliqué (Julien Derrida ?) l'explication n'aurait rien perdu de ces qualités.
D'un moustachu à l'autre : Saussure et Super Mario même combat. Merci Joypad. Merci la "réduction de Mario à son essence paradigmatique".
(2) Des angles "impactants", engagés et engageants (la lecture est plus dynamique), stimulants ...mais en contrepartie, des choix parfois contestables :
- "les réticences de Nintendo à utiliser sa mascotte sont de moins en moins grandes (suite a un accord avec EA, on a tout de même vu Mario, Luigi et Peach dans SSX Street V3 sur GameCube)" : c'est très orienté, bien que ce jeu sorti en 2005 - l'année des 12 Mario - est un exemple parlant, les développements des Mario à l'époque 8bits étaient bien plus spontanés et inégaux. Des jeux aussi mauvais que les jeux éducatifs des années 90 sur Super Nintendo ou sur PC ...ou qu'Hotel Mario sur lecteur CDI Philips ne pourraient plus sortir aujourd'hui. Nintendo a conscience du capital symbolique que représente la marque Mario et c'est tant mieux ! ;
- de même, "Mario s'essaie au golf dans une de ses premières apparitions sur NES, en 1984" (p.65) non, il s'essaie à ce sport en arcade, l'année précédente;
- les "+ 200 jeux en 25 ans" annoncé en couverture ne sont pas abordés. Il n'y a pas même une liste de ces jeux là. Si le magazine se penche bien, et en profondeur, intelligemment, sur les épisodes les plus marquants, il laisse bien entendre en une que 200 jeux seront traités, ce n'est pas du tout le cas. A la décharge de rédaction, elle n'est souvent pas responsable de ces choix là en couverture;
- le cas du Mario préféré de Miyamoto pose aussi question. Ici selon le magazine il s'agit de Super Mario World. Ce n'est pas du tout gravé dans le marbre, il change d'une interview à l'autre ; le premier Super Mario Bros reste celui dont il est le plus fier selon une autre interview accordée au Nintendo Magazine (époque "emap") à la fin des années 1990 ; il a également choisis Super Mario 64 d'autre fois ;
- enfin, l'interview gag du personnage Wario (pages 94 à 97) n'est pas au niveau du reste, elle clôt le magazine d'une façon peu heureuse (une blague déjà lue vingt fois).
Tu n'as pas été le mieux servi, mon pauvre !
Moralité ?
Nous revenons, certes plus informés, au point de départ : le prix - 7,5 euros - reste le principal frein.
S'il coûtait deux fois moins cher, il n'y aurait que peu d'hésitations à avoir. Les qualités de ce magazine sont indéniables. Mine de rien, c'est la preuve que Yellow Media peut abriter en son sein des magazines et des points de vue indépendants, exigeants ...des qualités qui ne sont donc pas l'apanage des publications d'éditions plus modestes (Pix'n Love, etc ...que nous soutenons tout de même !). A l'origine, Joypad et Consoles +, deux mags spécialisés "historiques" (déjà là il y a presque 20 ans !) étaient édités par des concurrents ; aujourd'hui sous le même toit, les rôles se sont définis, d'autant que Jeux Vidéo Magazine, leader absolu, a pris chez Future/Yellow le rôle du gros généraliste. Dans cette famille - et comme dans toutes les familles - il faut savoir trouver sa place : Joypad est devenu depuis environ 5 ans le rejeton le plus intello de la smala, s'acoquinant avec Edge, le magazine britanique considéré comme le plus exigeant d'Europe (voire du Monde). L'intello du jeu vidéo, celui qui prend parti, celui qui a un oeil... ce numéro va dans ce sens.
Si vous êtes fan de Mario, apprendrez-vous des choses ? Des choses objectives, peut-être bien que non. Mais des points de vue sur une histoire, sans aucun doute. Mario, la seule Histoire des jeux vidéo qui court sur 3 décennies (le 25 ans n'est que partiel, l'Histoire commence bien en 1981) ; trois décennies sans discontinuer ! De quoi obtenir une donnée vaste (les vente, les choix des créateurs, le traitement réservé par des consommateurs, la gestion de la marque par les dirigeants...). Il y a de quoi dire ! Une saga-massive-et-manne-d'-informations qui n'a pas fini de nous faire parler et de nous faire comprendre ! La saga phare de Nintendo est le lampadaire de l'industrie, à sa lumière, ce Joypad nous livre ici une lecture éclairée et personnelle.
Si vous voulez apprendre des choses objectives (des faits) sur Mario, son Histoire, ses secrets de développement, le livre GameOver de David Sheff est la meilleure source ; idem avec les éditions plus anciennes des années 1990 : une vraie mine, non traduite en français hélas. Comptez une vingtaine ou une trentaine d'euros, même d'occasion, sur Amazon. Il faut voir la taille du pavé, vous en aurez pour votre argent !